La Corporate Sustainability Reporting Directive (CSRD) connaît un tournant majeur. Alors que l’Europe s’était engagée sur la voie d’un reporting extra-financier ambitieux, la proposition Omnibus publiée le 26 février 2025 vient rebattre les cartes. Derrière cet allègement des exigences de la CSRD, une question s’impose à toutes les entreprises concernées : et ensuite ?
Pourquoi un assouplissement de la directive CSRD ?
Le contexte politique et économique européen explique en grande partie cet infléchissement. À l’approche des élections européennes de juin 2025, la Commission européenne a multiplié les signaux d’apaisement à l’égard du monde économique. La publication du rapport Draghi sur la compétitivité a également pesé lourd. Son constat est clair : l’excès de charges réglementaires freine la croissance et l’innovation en Europe.
De nombreuses entreprises, en particulier les ETI et PME cotées, avaient tiré la sonnette d’alarme sur le coût de mise en conformité avec la CSRD. La complexité des European Sustainability Reporting Standards (ESRS), la mobilisation de ressources humaines spécialisées, et l’obligation de faire auditer leur rapport de durabilité représentaient une charge administrative et financière lourde. La réponse politique a donc été rapide : alléger, reporter, simplifier.

Ce que le législateur doit encore préciser dans les prochaines semaines
La proposition Omnibus ne fait que poser le cadre. Le législateur doit désormais préciser les modalités d’application de ces assouplissements. Deux textes sont particulièrement attendus :
- La modification des directives (UE) 2022/2464 et (UE) 2024/1760, qui doit préciser les nouvelles dates d’application des obligations de reporting en matière de durabilité et de devoir de vigilance. Cette modification est à l’ordre du jour du mardi 1er avril à 12h. Les États membres devront clarifier à partir de quand les entreprises devront se conformer à ces nouvelles exigences, en tenant compte des reports proposés.
- Les détails sur le calendrier d’adoption des normes ESRS révisées, avec une promesse de réduction significative des points de données à collecter. Les entreprises attendent également des indications précises sur l’intégration de la double matérialité et l’application aux chaînes de valeur.
Rien n’est encore définitivement acté
L’initiative du Sénat en France
Le Sénat français a adopté une position ferme en faveur d’un report de 4 ans pour l’application de la CSRD aux entreprises de taille intermédiaire. Ce report, salué par les fédérations professionnelles, n’a toutefois aucune portée juridique à ce stade : il dépendra du vote européen et de la transposition en droit français. Le Parlement européen devra donc se prononcer, probablement après les élections européennes, ce qui laisse planer l’incertitude sur le calendrier définitif.
Le processus législatif européen
Le processus législatif n’est pas terminé. Si le Conseil européen semble favorable à une simplification, le Parlement européen, quant à lui, pourrait réserver des surprises. En particulier sur les délais de mise en œuvre.
L’issue des débats reste incertaine
Avant le début des négociations, dont le calendrier reste à fixer, les positions des groupes au Parlement européen sur la proposition de la Commission ne permet pas d’anticiper le résultat du vote :
- Pour la parlementaire européenne Martine Kemp, Groupe du Parti populaire européen (Démocrates-Chrétiens: 188 élus): « Réduire les obligations administratives inutiles ne signifie pas qu’il faille renoncer à un contrôle ou à une responsabilité importants.«
- Les Socialistes et démocrates (136 élus) se disent favorables à la simplification administrative mais estiment que ce n’est pas l’objectif de la directive omnibus, qui est ouvertement un texte de dérégulation.
- Les Patriotes pour l’Europe (PfE: 84 élus) et les Souverainistes (ESN: 25 élus) parlent, de leur côté, d’un texte poudre aux yeux.
- Le groupe Renew (Libéraux: 77 élus) par la voix de Pascal Canfin: « Oui à la simplification qui permet d’atteindre plus facilement et efficacement nos ambitions. Non à une réforme qui reviendrait à vider les Directives de leur substance et nous empêcherait d’atteindre les objectifs que nous avons fixés pour l’Union européenne«
- Pour les Conservateurs et réformistes européens (droite : 78 élus), «l’omnibus est un pas insuffisant». Le parti dénonce l’accumulation de textes réglementaires européens et appelle à «supprimer les obligations de toutes les entreprises».
- Pour les Verts (53 élus), l’omnibus est une déréglementation massive qui sape la transition verte et pénalise les entreprises qui étaient sur la voie du changement.
- Manon Aubry, du groupe la Gauche (46 élus), a réagi à l’annonce de l’omnibus: « Pour rester compétitifs, les entreprises peuvent bien continuer de détruire la planète et de violer allègrement les droits humains«
Source: Les groupes politiques du Parlement européen.
Reporting de durabilité : les attentes des parties prenantes restent fortes
Si les obligations légales sont allégées ou repoussées, cela ne signifie pas que les entreprises peuvent relâcher leur vigilance. Les attentes des investisseurs, banques et assureurs restent élevées en matière de reporting ESG (environnemental, social et gouvernance). Ces acteurs financiers, eux-mêmes soumis à la Sustainable Finance Disclosure Regulation (SFDR) et à la taxonomie verte européenne, continueront de demander aux entreprises des données fiables et vérifiables.
En d’autres termes, même si la publication et l’audit du rapport de durabilité sont différés, les exigences du marché ne faiblissent pas. Le reporting volontaire, appuyé sur le standard VSME ou une version simplifiée des ESRS, pourrait devenir un levier de différenciation stratégique pour les entreprises qui souhaitent maintenir la confiance de leurs parties prenantes.
Anticiper la suite : que faire dès maintenant ?
Dans ce contexte mouvant, je vous recommande de :
- Suivre de près l’agenda législatif, en particulier la session du 1er avril 2025 et les débats au Parlement européen.
- Évaluer les risques et opportunités liés au report de la CSRD : faut-il temporiser ou accélérer la montée en compétences internes sur le reporting de durabilité ?
- Dialoguer avec leurs parties prenantes financières, pour comprendre quelles informations ESG restent indispensables malgré le cadre réglementaire en suspens.
- Anticiper l’audit de durabilité, même si celui-ci est repoussé : la mise en qualité des données ESG reste un enjeu clé pour fiabiliser les publications futures.
- Sollicitez-nous pour vous accompagner sur ces points: nous contacter.
En conclusion
L’allègement des exigences CSRD répond à une volonté de réconcilier compétitivité et transition durable. Mais la simplification ne doit pas être confondue avec un abandon des pratiques de reporting ESG. Les entreprises qui sauront anticiper les attentes des investisseurs et des marchés financiers garderont une longueur d’avance dans cette nouvelle phase de la régulation européenne.